Retour à ce blog, après plusieurs mois d’interruption, avec un article en partie « écrit pour mémoire » et en partie consacré à une exposition encore actuelle pour peu de temps. L’exposition de Théo Mercier au musée de l’Homme s’est tenue d’octobre 2017 à avril 2018, et celle au musée de la Chasse et de la Nature se termine le 30 juin 2019.
Pièces rapportées, au musée de l’Homme (2017-2018)
S’il est devenu courant d’inviter un artiste à glisser ses œuvres, avec plus ou moins de bonheur, dans les interstices d’une collection muséale, il est rare que cette greffe éphémère s’opère avec autant de pertinence – et d’impertinence – qu’avec l’intervention de Théo Mercier au musée de l’Homme, l’an passé. Il y avait déjà, il est vrai, comme un air de famille entre les vitrines du musée et les objets fabriqués ou collectés par l’artiste, relevant parfois d’une anthropologie imaginaire ludique et caustique.
Il n’est pas inutile de rappeler que la muséographie du lieu est le résultat d’un remaniement complet des collections, ou du moins de ce qu’il en restait après la terrible ponction opérée lors de la création du musée du quai Branly. Beaucoup se souviendront d’avoir autrefois découvert là le prodigieux trésor du roi d’Abomey, pour ne citer que cet exemple. C’était un musée peut-être un peu vieillot, comme on s’est plu à le dire, mais surtout un réservoir fantastique de formes et de rêves.
Dans son aspect actuel, la Galerie de l’homme, au sein du musée du même nom, se présente comme un condensé d’anthropologie physique et d’ethnologie. Par ailleurs, dans un retour inévitablement politique sur l’histoire de ces disciplines, elle rappelle en pointillé la vision que la civilisation occidentale s’était forgée de l’humanité, au temps où l’essor des collections publiques et des expositions universelles coïncidait avec celui des empires coloniaux. L’anthropologie muséale devient alors, en même temps qu’elle s’efforce de donner un aperçu, en quelques vitrines, de l’évolution de l’homme et des communautés, l’objet de sa propre investigation. Aussi est-ce une magnifique collection de têtes et de bustes du XIXème siècle, installée sur un portant de deux étages, qui illustre tout à la fois la diversité morphologique des groupes humains et la façon dont on les représentait, objet de savoir autant que de savoir sur le savoir. On y découvre aussi les recherches désormais oubliées en phrénologie dans des vitrines où l’hypothèse scientifique fait aujourd’hui place au pittoresque. On citera encore, parmi tant de témoignages étranges de pratiques révolues, l’invraisemblable fac-similé d’un mannequin pédagogique d’accouchement en tissu. La collection prend ainsi parfois la forme des cabinets de curiosités, dont on connaît le revival dans le champ de l’art contemporain (Curios et Mirabilia du château de Oiron, Cabinet de la Licorne au musée de la Chasse et de la Nature, Musée Gassendi de Digne-les-Bains, entre autres…). Enfin, dans sa dernière partie, elle nous invite à penser à notre futur et à celui de la planète, dans une perspective de sauvegarde écologique. Ce vaste programme, complexe en ce qu’il mélange les angles de vue, et qui n’est pas sans proposer des rapprochements risqués, se traduit par la création de grandes vitrines thématiques telles que Fabriquer des outils aux multiples usages, qui concerne essentiellement la préhistoire et la taille du silex, ou 101 façons de penser le monde, qui présente au milieu de masques de toutes origines une pintade plumifère mâle et une chauve-souris d’Afrique, pour la raison qu’il s’agit de créatures voisines aux yeux des pygmées Aka, ou encore Domestiquer les plantes et les animaux, où trône un superbe poivron rouge… Un titre tel que Des identités plurielles et emboîtées autorise tous les voisinages. Le foisonnement des formes invite le regard à glisser d’un grand nombre de masques, dont un masque sépik au long nez crochu, à un mannequin de mardi gras, à un autre de couturière, ainsi qu’au buste gracieux de Mistinguett à l’âge de 78 ans… Continuer la lecture de « Le musée revisité par Théo Mercier »