« Pensées liquides ». Stéphane Thidet à la Conciergerie.

 

 

Il reste dix  jours pour voir l’installation in situ de Stéphane Thidet à la Conciergerie du Palais de la Cité à Paris, Détournement. Le présent article fait suite à celui publié dans ce blog en mai 2016, « Un sillage sur l’eau noire…, Stéphane Thidet, Solitaire », qui portait sur l’intervention de l’artiste au Collège des Bernardins. Les œuvres déjà évoquées dans ce dernier article ne feront pas l’objet d’une nouvelle description.

Détournement Vue de détail de l' installation dans la conciergerie
Détournement, vue de détail de l’installation dans la Conciergerie.

Afin d’alimenter le parcours de Détournement dans la Conciergerie, l’eau de la Seine, aspirée par des pompes immergées, circule dans un tuyau vertical puis horizontal à six mètres et demi au-dessus du quai de l’Horloge et pénètre dans la Conciergerie par la fenêtre des Cuisines historiques. D’abord invisible, elle court, canalisée, jusqu’à la salle des Gens d’armes, où elle fait une entrée spectaculaire et sonore sous la forme d’une cascade qui se déverse dans une cuve de bois brut. L’installation tout entière, dont les structures sont partout apparentes, est réalisée dans ce matériau clair qui s’harmonise avec la pierre des colonnes. L’eau s’écoule ensuite dans un lit de bois doublé d’inox, qui serpente sous les voûtes à un mètre de hauteur, avant de s’élever, à nouveau masquée, dans la salle des Gardes jusqu’à une haute fenêtre lobée, puis de se déverser dans les douves.

Architecture et histoire.

jean Fouquet, miniature tirée des Chroniques de Saint-Denis, vers 1460
Jean Fouquet, miniature tirée des Chroniques de Saint-Denis, vers 1460 (BNF).

On a assez montré, en particulier à propos du Land Art, comment l’œuvre in situ, pensée et réalisée en fonction de son site d’implantation et par là non déplaçable, venait en rupture avec l’affirmation moderniste de l’autonomie de l’art, marqueur des avant-gardes historiques. C’est encore plus vrai dès lors qu’il s’agit d’un lieu chargé d’histoire : « le site architectural ou urbain est toujours à réinventer par l’œuvre, et cette intervention oblige l’artiste à une traversée intelligente et sensible de toute l’épaisseur du temps » écrit Françoise Gaillard. C’est la proximité de l’ancien palais capétien avec le fleuve, que soulignait autrefois avec insistance une miniature de Jean Fouquet, mais à laquelle on s’est accoutumé au point de l’oublier, qui a donné naissance à l’œuvre de Stéphane Thidet. Toutefois, celui-ci tient à se préserver de la tentation d’illustrer ou de commenter l’histoire et peut choisir, soit de perturber violemment notre relation complaisante aux vieilles pierres – l’introduction de loups dans les fossés du château de Nantes (La meute,2009), demeure inscrite dans les mémoires, y compris pour ceux qui n’en ont pas été les témoins directs -, soit de s’attacher à un aspect qui, compte tenu de la charge historique du lieu, pourrait paraître anecdotique. Telle la présence à la Conciergerie, juste sous le chapiteau d’une colonne de la salle des Gens d’armes, d’une double flèche surmontée de l’inscription « Inondation 28 janvier 1910 » qui retint l’attention de l’artiste, sollicité par le Centre des monuments nationaux pour intervenir sur un site patrimonial. L’eau s’étant déjà introduite  par effraction dans un lieu devenu synonyme d’enfermement, il décida de l’inviter à y revenir d’une façon qu’il qualifie de « plus contrôlée », mais qui n’implique pas moins que le fleuve passe par la fenêtre de la cuisine, comme n’importe quel monte-en-l’air.

 

entrée de l'eau dans la Conciergerie par une fenêtre des Cuisines historiques
Détournement, entrée de l’eau dans la Conciergerie par une fenêtre des Cuisines historiques.
 c
Détournement, la cascade à l’intérieur de la Conciergerie.

 

 

 

 

 

 

 

Continuer la lecture de « « Pensées liquides ». Stéphane Thidet à la Conciergerie. »