Dans le secret de la nuit. Anne-Charlotte Finel.

Anne-Charlotte Finel, Entre chien et loup, 2015, HD, couleur 5'44'', musique Luc Kheradmand
Anne-Charlotte Finel, Entre chien et loup, 2015, HD, couleur, 5’44’ ‘, musique Luc Kheradmand

« Je filme lorsque la lumière s’échappe, se raréfie : à l’aube, au crépuscule, à l’heure bleue ou la nuit » dit Anne-Charlotte Finel. « L’heure bleue », c’était le titre d’un joli film d’Eric Rohmer (Quatre aventures de Reinette et Mirabelle, 1987) dont les actrices guettaient à l’aube ce moment suspendu, silencieux, qui précède les premiers chants d’oiseaux. On est, avec la vidéaste, sur un tout autre registre, car s’il est des aubes dans son œuvre, celles-ci sont singulièrement crépusculaires.

La première fois que j’ai vu son travail, c’était au Musée de la chasse et de la nature, lors de la projection d’une série de films de jeunes réalisateurs autour de thèmes animaliers. Elle avait alors obtenu le prix Sommer pour Entre chien et loup, également montré lors de l’exposition hors les murs du Palais de Tokyo, « Le parfait flâneur », pendant la Biennale de Lyon 2015. J’ai ensuite revu ce film en 2016 à la galerie Jousse Entreprise, où j’ai aussi découvert l’extraordinaire Barrage. Il y eu ensuite La crue, et Molosses, au Salon de Montrouge. De toutes ces œuvres, une seule, La crue, est visible en ce moment à la galerie Edouard Manet de Gennevilliers, les autres étant, pour moi du moins, jusque là inconnues, et toutes datées de 2016. Ce qui témoigne d’une production intense.

Anne-Charlotte Finel,La crue,vidéo HD,couleur,6'32' ',
Anne-Charlotte Finel, La crue, vidéo HD, couleur,6’32’ ‘

Entre chien et loup : c’est, on le sait, une expression populaire très ancienne pour désigner l’heure ambiguë et dangereuse où la lumière insuffisante ne permet plus de distinguer l’ami de l’ennemi. Ici, sur une hauteur, un groupe de cervidés évolue dans une ombre qui va s’épaississant. Le spectateur mettra quelques secondes à distinguer dans le fond de l’image de grands immeubles éclairés qui révèlent la proximité d’une ville, alors qu’on aurait toutes les raisons de se croire, sinon en pleine forêt, car les arbres dénudés par l’hiver sont de faible envergure et la végétation assez pauvre, du moins en lisière d’un bois. Si l’on considère que la qualité première d’une image est une bonne définition, on est à coup sûr en présence d’une très « mauvaise » image : une poussière mobile plus ou moins scintillante, pixellisation trop visible qui évoque la « neige » des anciennes télévisions en panne, brouille la vision. La gamme de couleurs, restreinte entre un brun verdâtre et un bleu fade, tend vers un noir et blanc sans aucun contraste. Tandis que l’on s’efforce de percer la brume artificielle qui vient noyer les contours de toutes choses, et de comprendre où se trouvent exactement ces animaux fantomatiques étrangement proches des hommes, la silhouette d’un joggeur traverse tranquillement l’écran d’un bord à l’autre, au petit trot. Il passe au second plan, entre les biches et la métropole dont les lueurs dans le lointain s’affirment avec la tombée de la nuit, sans que cela au demeurant semble émouvoir les bêtes. Présence à première vue incongrue comme un trait d’humour involontaire, mais qui conclut au plus juste cette exploration d’un espace intermédiaire et mal différencié, zone sans caractère et par là ouverte à tous les possibles.
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