Il y a une girafe dans le couloir. Delphine Gigoux-Martin.

Arrière-salle de l'ancien tribunal de Lectoure. Dessin mural, fusain. Détail.
Les mauvaises fréquentations. Arrière salle de l’ancien tribunal de Lectoure. Dessin mural, fusain. Détail.

Les œuvres de Delphine Gigoux-Martin sont visibles à L’été photographique de Lectoure 2017 ainsi qu’à l’exposition Sur Réel à Memento, Auch, jusqu’au 24 septembre. La fontaine du Monastère de Ségriès est une œuvre pérenne.

 La girafe à Lectoure.

Le lieu : une arrière salle de l’ancien tribunal, en fait un passage donnant d’un côté sur un escalier montant, interdit aux visiteurs, sur un petit couloir de l’autre, sur une pièce latérale à peu près au milieu. Un de ces lieux plus ou moins dissimulés, indifférents, sans doute plusieurs fois remaniés avec peu de moyens, auxquels seules la désaffection et la décrépitude peuvent peut-être conférer une ambigüe séduction. En contraste total en tout cas avec la salle du tribunal, qui nous semble aujourd’hui étrangement petite, mais au pittoresque indéniable, généralement utilisée pour des projections bien cadrées et dont les sièges offrent tout confort au regardeur (cette année réservée à une très belle vidéo de Hans Op de Beek). Des bouts de mur  discontinus, dont un grand pan en avancée dû au brusque rétrécissement du couloir, divers décrochements,  un dessus de porte démesuré montant vers un haut plafond aux poutres sombres à peine éclairé par un étroit puits de lumière, des parois  encombrées (applique, tuyaux courant sur les murs, interrupteurs, plinthes en relief ou peintes, parfois superposées). En bref, un espace dont personne ne voudrait pour une exposition. Mais Delphine Gigoux-Martin se plaît à habiter ces architectures improbables, à en exploiter les irrégularités par le jeu de la projection, à nicher ses dessins sur les pans de mur lépreux. Ce qu’elle fait pour cette oeuvre intitulée Les mauvaises fréquentations.

Arrière-salle de l'ancien tribunal de Lectoure
Arrière salle de l’ancien tribunal de Lectoure.

L’artiste excelle dans le dessin au trait, vif, rapide. Je me souviens d’une performance lors d’un salon Drawing Now, où elle avait tracé au fusain, en quelques gestes sur une cloison, l’image d’un grand oiseau en vol. Son dessin est elliptique mais précis dans le détail, à des échelles diverses selon le support, architecture, livre d’artiste, dessin animé, grattage à la pointe de photographies. Elle aime en particulier à mêler, comme à Lectoure, le wall drawing et la vidéo. Ainsi, pour l’exposition au Cairn, à Digne-les-Bains, en 2014,  « Lorsque l’été lorsque la nuit » (dont, grande lectrice, elle  avait emprunté le titre à Jean Tardieu), elle avait tracé sur le mur les contours d’une forêt d’arbres au tronc tacheté droit comme celui des conifères, au feuillage lacinié dansant dans le vent. Et par-dessus, trois vidéos, à partir de projecteurs au sol, promenaient, en surimpression, une vision de fonds marins et de leur faune portée par les courants : « …les arbres deviennent des coraux,/les méduses des vaisseaux spatiaux,/la nuit coule sur la montagne,/la forêt pleure les océans… » écrivait-elle.

Arrière-salle de l'ancien tribunal de Lectoure. Dessin mural, fusain. Détail.
Les mauvaises fréquentations. Arrière salle de l’ancien tribunal de Lectoure. Dessin mural, fusain. Détail.

A Lectoure, le tracé au fusain se déploie à peu près sur tous les murs. Sous la rampe de l’escalier se dressent de hautes plantes dont les tiges se terminent par un feuillage rayonnant que surmonte un plumetis de verdure qui fait songer à un essaim. Ailleurs, sous les fils et tuyaux, émergent des plinthes des massifs de fleurs dont seule une ligne de contour informe et une tache centrale suffisent à caractériser la lourdeur et l’aspect tropical. Au-dessus de la porte du fond, on retrouve un de ces arbres au tronc droit évoqués plus haut. C’est dans ce contexte de métamorphose d’un couloir délabré en paysage, sans doute exotique, mais plus encore originel, tel un fantasme de forêt primitive, que surgit la girafe. Apparition peut-être suscitée, précisément, par la hauteur du plafond ?

Arrière salle de l'ancien tribunal de Lectoure. Dessin animé.
Les mauvaises fréquentations. Arrière salle de l’ancien tribunal de Lectoure. Projection. Dessin animé.

L’appareil de projection se trouve derrière une sorte de fenêtre ouverte dans une paroi bricolée en haut de l’escalier. On perçoit d’abord la silhouette dansante de l’animal – précise au niveau du cou, de la tête et par moment des pattes, mais dont le corps semble se confondre avec les taches de l’enduit – dans le haut de la première paroi perpendiculaire au faisceau lumineux. Lorsque la girafe retourne entièrement son long cou, comme pour regarder derrière elle, le bout de son museau, hors-champ sur cet écran de projection désormais trop étroit, apparaît alors furtivement à l’autre bout du couloir au-dessus de la porte, agrandi par la distance. Tandis qu’une autre image de la bête, fragile mirage aux mouvements identiques mais décalés dans le temps par rapport à la première, se dessine également sur la paroi latérale.

Ainsi le sombre couloir devient le théâtre d’un clair-obscur savant, où se promène et se dédouble un fantôme de girafe. Le jeu de superposition de deux univers en apparence incompatibles, l’un réel, l’autre imaginaire, sans que jamais l’un ne l’emporte sur l’autre, peut être perçu comme une belle métaphore de l’état de rêverie. L’humour, qui traverse constamment la relation qu’entretient Delphine Gigoux-Martin à la nature et à l’animalité, se fait ici léger.  On verra qu’il peut-être parfois plus noir, voire cruel.  

Arrière salle de l'ancien tribunal de Lectoure. Dessus de porte. Dessin mural. Fusain.
Les mauvaises fréquentations. Arrière salle de l’ancien tribunal de Lectoure. Dessus de porte. Dessin mural. Fusain.

 S’appropriant un lieu, l’artiste se compare elle-même à l’animal qui délimite son territoire. Par ailleurs, si les irrégularités du support non seulement ne la dérange guère, mais lui inspirent à chaque fois de nouvelles solutions, c’est sans doute aussi en raison de son intérêt soutenu pour l’art pariétal. On connaît l’habileté avec laquelle les dessinateurs de la préhistoire tiraient parti des aspérités de la roche. Bertrand Riou évoque, chez Delphine Gigoux-Martin, une tendance à la « grottification de l’espace concret dans lequel le public se trouve ». Elle est d’ailleurs intervenue dans le cadre de l’exposition Dream Time-Temps du rêve, en 2009 par la projection de cinq dessins animés sur les parois de la grotte magdalénienne du Mas-d’Azil, en Ariège.

Delphine Gigoux-Martin pratique aussi un très discret dessin à la pointe avec laquelle elle écorche finement la surface de photographies en noir et blanc. Parfois il s’agit de  photos de famille anciennes au bord dentelé – elle attaque parfois plus vigoureusement celles-ci à la craie noire -, tantôt des images plutôt banales de paysages. Ce qu’elle fait ainsi surgir est encore le plus souvent un bestiaire, une pieuvre surmontant une tête d’enfant, une sorte d’espadon dans les replis d’une montagne, une baleine dissimulée dans un talus, un bélier dans les volutes peut-être fossiles d’un sol ou d’une paroi rocheuse, un poisson (très) chat dans un paysage hivernal, une tête – d’ourson ?- surgissant derrière un gros rocher… Plusieurs de ces « photo-graphies », comme l’artiste les appelle, sont accrochées à touche-touche dans un petit couloir de l’ancien tribunal de Lectoure. La transparence des formes animales au bord de l’invisibilité, dont seuls les contours sont indiqués par la blancheur de la très mince incision, exigent du spectateur une attention soutenue pour consentir à se montrer.   

ours

cerf

lionne

Quelques "photo-graphies" de la série La préhistoire, montrées à Lectoure ( ours, cerf, lionne, cerf).
Quelques « photo-graphies » de la série La préhistoire, montrées à Lectoure ( ours, cerf, lionne, chouette).

 Les renards à Auch.

Par une assez étrange coïncidence, l’emplacement de ces œuvres à Lectoure en jouxtait deux autres où les artistes avaient recours à l’animal empaillé, et où figuraient des renards. Dans l’un étaient exposées les photographies bien connues de Karen Knorr, en particulier de la série des Fables, qui mettent en scène les bêtes dans des lieux historiques somptueusement décorés et meublés. Dans l’autre, Sylvain Wavrant, lui-même taxidermiste, proposait la recréation d’un espace personnel de vie et d’atelier, plongé dans un clair-obscur onirique et  délibérément surchargé.  Mais c’est à Auch, à l’espace d’art Memento, que Delphine Gigoux-Martin a choisi de montrer ses renards « naturalisés » (le terme, d’usage courant, peut paraître pour le moins paradoxal, mais s’explique par le fait qu’il s’agit de donner un aspect « naturel », donc vivant, à l’animal mort).

"Lorsque l'été lorsque la nuit"2014. Dessin au fusain, dessins animés, taxidermies ,installation auCAIRN, Centre d'art, Digne-les-Bains.
« Lorsque l’été lorsque la nuit » 2014. Dessin au fusain, projection de dessins animés, renards naturalisés, installation au CAIRN, Centre d’art, Digne-les-Bains.

La description de la pièce citée plus haut « Lorsque l’été lorsque la nuit », serait incomplète si l’on n’évoquait les trois renards empaillés,  disposés au sol dans une posture d’affût et  dont l’ombre se projette sur les murs en même temps que celle des visiteurs. L’une des œuvres de l’artiste les plus reproduites, La vague de l’océan, réalisée en 2011 au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix aux Sables d’Olonne, comportait également trois renards naturalisés. L’un, dont seule la partie antérieure était utilisée, surgissait du mur,  le second bondissait, ou plutôt s’envolait au dessus d’une mer agitée, et le troisième s’écrasait assez ridiculement sur le mur d’en face. Le tout, comme dans une bande dessinée, semblait figurer les trois temps d’une même action. On a pu voir dans cette pièce une image de la condition humaine, mais elle est aussi dénuée de tout attendrissement au regard de l’animalité. Au demeurant, la seule taxidermie, qui provoque parfois une réaction indignée chez les spectateurs, « en tentant de conserver l’apparence de la vie, rend la présence de la mort plus prégnante encore » (Gaëlle Rageot-Deshayes).

De même que chez les artistes travaillant en milieu naturel, la soumission respectueuse à « l’esprit du lieu » est loin d’être la règle, la relation à l’environnement pouvant très bien être vécue comme un affrontement (le land-art américain, les œuvres paysagères de Richard Serra, par exemple), de même le rapport de l’art contemporain à l’animalité peut être violent – ou tout simplement prendre acte d’une violence effective dans le monde réel. C’est sans doute avec « La rôtisserie de la Reine Pédauque » (reprise d’un titre d’Anatole France), au Creux de l’Enfer à Thiers, que l’artiste  a poussé le plus loin ce constat : en formation de vol groupé, des oies sont transpercées par des broches motorisées. L’acte de dévoration est en outre célébré lors de vernissages gastronomiques, comme ce fut le cas, avec la connivence du chef Yves Camdeborde, en 2014, lors de l’ exposition au Musée de la chasse et de la nature (Comment déguster un phénix ?).  Pour Delphine Gigoux-Martin « c’est une façon « ogresse » de voir le monde ». L’animal, dira-t-elle encore, est « un vecteur dans mon travail pour parler d’humanité, de la vie, de la mort, et parce qu’il y a derrière nos vies, notre société, quelque chose de profondément animal que nous avons bien du mal à taire, quelque chose de nu qui nous renvoie aux paradoxes de nos instincts contradictoires entre empathie et anthropophagie ».  

L'arrière-pays, 2017. Sculpture.
L’arrière-pays, 2017, sculpture.Renard naturalisé, bois, plastique.

A l’Espace départemental d’art contemporain Memento d’Auch, les œuvres sont, à la différence de celle de Lectoure, davantage dissociées de leur environnement, même si l’une se trouve placée sous une sorte de dais préexistant. L’arrière-pays, (le titre de l’œuvre m’évoque le beau livre d’Yves Bonnefoy, mais je ne sais si, dans ce cas, il s’agit d’une citation), montre un renard empaillé sur un support de bois assez semblable à ceux utilisés pour la présentation d’une maquette. Sa position est ambigüe, il semble se ramasser dans une attitude de guet, mais ses yeux clos peuvent suggérer le rêve, davantage que la mort, voire le rêve au-delà de la mort et la nostalgie de sa forêt natale réduite à la dimension d’un jouet. Les yeux clos sont une constante chez les bêtes qu’utilise Delphine Gigoux-Martin, en opposition flagrante avec la taxidermie « classique » qui confère à l’animal une vie factice par le recours au regard de verre. « Les animaux ont les yeux fermés, c’est une forme de respect ultime que l’artiste offre aux victimes » (Sophie Biass-Fabiani). Quant aux arbres miniatures on les a déjà vus dans certaines œuvres, en particulier la sculpture montrant une biche qui vomit sa forêt. Ici, le paysage semble également gagner l’arrière du corps de la bête (d’où le titre ?). Le renard est colonisé par cette forêt qu’il contemple les yeux clos, en voie peut-être de devenir forêt lui-même.

L'arrière-pays, 2007.Détail.
L’arrière-pays, 2017. Détail.

  La posture de l’animal dans l’autre œuvre montrée à Auch est davantage cruelle. Dans Du danger d’avoir une âme, le corps suspendu par le milieu du ventre est bien celui d’une dépouille, plus maltraitée encore que dans les traditionnelles peintures de trophées de chasse. Elle est très étrangement perchée sur des tubes de verre creux, au fond desquels se retrouvent des morceaux de pattes. J’ai souvenir d’avoir vu, à la galerie Metropolis, une série de ces sortes d’éprouvettes disproportionnées aux formes complexes évoquant quelque mystérieuse alchimie dans un laboratoire géant. On a quelquefois relevé dans l’art de Delphine Gigoux-Martin l’importance du collage. Dans ce brutal assemblage de deux éléments jusque là distincts, on en a une illustration, dont le sens ultime – mais doit-il y en avoir un ? – demeure pour moi mystérieux. « Faut-il admettre que les fictions de Delphine Gigoux-Martin, écrit Claude d’Anthenaise, sont des contes sans raison, des fables sans morale ? »

 

Du danger d'avoir une âme, 2017, sculpture.
Du danger d’avoir une âme,
2017, sculpture, animal naturalisé, verre.
Du danger d'avoir une âme, 2017,sculpture, animal naturalisé, verre.
Du danger d’avoir une âme, 2017. Détail.

On notera encore, au passage, que ces taxidermies ne sont pas sans rapport avec celles qu’on trouvait autrefois en grand nombre dans les dioramas des musées de sciences naturelles, et que ceux-ci font en partie l’objet d’une passionnante exposition en cours au Palais de Tokyo à Paris.

 Les étoiles de mer au Monastère de Ségriès

"Il est grand temps de rallumer les étoiles", décor de la fontaine du Monastère de Ségriès, porcelaine, faïence, 2016
« Il est grand temps de rallumer les étoiles », décor de la fontaine du Monastère de Ségriès, porcelaine, faïence, 2016.

 Je n’ai pas vu les deux autres expositions, Dépaysement et Chassé croisé où figurent cet été des œuvres de Delphine Gigoux-Martin (voir plus bas). Mais je profiterai de l’occasion pour évoquer le souvenir d’une visite dans un autre coin de France, les Alpes-de-Haute-Provence, au Monastère de Ségriès, où elle a réalisé une œuvre pérenne,  « Il est grand temps de rallumer les étoiles », dont le titre est emprunté à Guillaume Apollinaire.

Annemarie et Dhruv Bandhari ont consacré des années à la restauration de l’ancien monastère cistercien de Ségriès, proche de Moustiers-Sainte-Marie, dans le parc régional du Verdon. C’est aujourd’hui un très beau bâtiment comportant cloître, chapelle, cour avec fontaine, et désormais une maison d’hôte recevant surtout des groupes. C’est à l’occasion de travaux de défrichage que fut découverte, puis remise en fonctionnement, une modeste fontaine depuis longtemps asséchée. Elle se trouve à l’écart des bâtiments, dans un lieu encore ensauvagé, ce qui ajoute à la surprise et à la séduction de sa découverte. Car si une certaine violence n’est pas absente de l’œuvre de l’artiste, le décor qu’elle a conçu pour la fontaine de Ségriès évoque plutôt le conte de fées, dans la mesure où celui-ci, à côté des prodiges et métamorphoses, convoque fréquemment la nature.

Ségriès profil

Fontaine de Ségriès. Eléments de porcelaine dans et autour de la fontaine. ( Holoturies?).
« Il est grand temps de rallumer les étoiles ». Eléments de porcelaine dans et autour de la fontaine. 

La fontaine, plutôt rustique, se compose d’un bassin et d’une paroi verticale comprenant deux pilastres encadrant deux arrivées d’eau au-dessus de fausses concrétions calcaires. Si les déplacements qu’opère habituellement Delphine Gigoux-Martin, superposant un espace à un autre, telle une forêt tropicale à un couloir délabré, donnent parfois l’impression de rechercher l’écart maximal, la transformation de la fontaine en fonds marins relève plutôt du simple pas de côté. Du moins reste-t-on dans le domaine aquatique… Une faune marine, dont de très nombreuses étoiles de mer, occupe le bassin, et déborde parfois jusque parmi les plantes environnantes.

Beaucoup d’éléments sont réalisées en porcelaine. Avec le dessin sous toutes ses formes et la taxidermie, on peut dire que la porcelaine est le troisième medium auquel l’artiste a le plus souvent recours, bien qu’on en ait pas d’exemple dans les deux expositions évoquées plus haut. Le fait d’avoir été enseignante à l’école d’art de Tarbes, et aujourd’hui à celle de Limoges aura sans doute favorisé chez elle cette pratique. Par exemple, De la fin du vol, en 2008, aux Sables d’Olonne, comportait des oiseaux en biscuit, qui venaient s’écraser sur un mur autour d’un wall dawing figurant de grands arbres.  Une partie de la faune de la fontaine est réalisée en faïence – on connaît la réputation de la faïence de Moustiers – et pour cela, il a été fait appel à Jerôme Galvin, artiste céramiste.

Fontaine de ségrais. détail.
« Il est grand temps de rallumer les étoiles ». Détail, plateaux coraux, étoiles de mer.
Fontaine de Ségriès.Détail, jet d'eau étoile filante.
Détail, jet d’eau,étoile de mer.

Chaque œuvre de Delphine Gigoux-Martin fait l’objet d’un carnet, véritable livre d’artiste. Des croquis rapides y côtoient l’énoncé de son projet, des considérations parfois très techniques, de nombreuses citations d’écrivains et de poètes, et de courts textes dont elle est l’auteur. Dans le carnet conservé par les propriétaires du monastère, on trouve un croquis de la fontaine qu’accompagne un court poème: « [sur] la fontaine coule la nuit étoilée/et / de l’étoile filante jaillit l’eau/ la nuit se noie »,  tandis que des schémas facilitent l’identification des hôtes du bassin (« plaque corail », « plateaux coraux », « oursin », « oursin diadème »…). Plus loin, c’est un collage : un tableau bien connu de Patinir, un paysage avec la barque de Charon qui transporte la petite âme, et, par dessus, des découpages hâtifs de formes étoilées portant les inscriptions et reliées entre elles : le ciel s’y rattache à la mer, l’eau (écrit L’O) se confronte au feu (sur le tableau, le feu de l’enfer), la queue d’une étoile filante porte le mot « faïence », tandis que les branches d’une autre évoque le cours du Verdon traversant le lac de barrage Sainte-Croix.

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Carnet de du projet de a fontaine de Ségriès. Détails.
Carnet  du projet « Il est grand temps de rallumer les étoiles ». Détails.

 De fait, comme souvent dans le travail de l’artiste, les connotations s’empilent comme dans une sorte de stratigraphie : si à l’eau douce se superpose le fond marin – qui autrefois occupait ce territoire où il a laissé maintes traces fossiles -, à ce fond marin se superpose l’image du ciel, comme le suggérait d’emblée le titre de l’œuvre. Et de l’une des étoiles de mer surgit un jet d’eau qui évoque directement la représentation traditionnelle de l’étoile filante ou de la comète. Comme le note Samantha Deman : « L’œuvre évoque pêle-mêle la géologie, une légende locale et quelques attributs contemporains du monastère. Elle fait notamment écho à l’étoile dorée à l’or fin, suspendue au-dessus de Moustiers- Sainte-Marie au milieu d’une chaîne  de 135 m. de long accrochée entre deux pics rocheux surmontant le village. Celle-ci date de 1957 – elle est la onzième accrochée au cours de l’histoire – mais une légende rapportée par un poème de Frédéric Mistral en fait remonter l’origine au XIIIème siècle ». Et le même auteur de noter que les chambres de la maison d’hôte portent des noms de constellations et que le prénom du propriétaire indien des lieux, Dhruv,  signifie « Etoile du Nord… »

S’il n’est pas indispensable de disposer de toutes ces informations pour apprécier la délicate poésie de la fontaine marine, elles sont sans doute précieuses pour en comprendre la genèse, le jeux d’associations libres auquel se livre l’artiste, mais aussi l’importance déterminante du lieu dans des réalisations qui, pérennes ou éphémères, sont le plus souvent conçues in situ.

 L’œuvre  « Il est grand temps de rallumer les étoiles »  a été réalisée dans le cadre de l’action des Nouveaux commanditaires. Commanditaires : Annemarie et Dhruv Bandhari (propriétaires du monastère), Alain Archiloque (ancien maire de Moustiers-Sainte-Marie), Jean Baptiste Bourgeois (ancien élu à la culture de Moustiers-Sainte-Marie). Médiation culturelle : Nadine Gomez (directrice du musée Gassendi et du CAIRN Centre d’art, Digne-les-Bains).

L’été photographique de Lectoure 2017. Cette réalité qu’ils ont pourchassée. Du 15 juillet au 24 septembre 2017 (fermeture de la seule halle au grain le 17 septembre). 5 lieux dans la ville de Lectoure, dont l’ancien tribunal. Direction : Marie-Frédérique Hallin.

Supra Réel, Espace départemental d’art contemporain  Memento, 14 rue Edgar Quinet, 32000, Auch. Du 27 mai au 24 septembre 2017. Commissariat : Karine Mathieu.

 Voir également les expositions :

 Dépaysement, exposition du Centre d’art contemporain atelier Etienne à Pont-Scorff, Morbihan, jusqu’au 17 septembre, (installation comprenant dessins muraux, dessins animés et sculptures au Manoir de Saint-Urchaut)

 Chassé-croisé, exposition consacrée à la chasse par le Musée de la chasse et de la nature au château de Champlitte, Haute Saône, jusqu’au 5 novembre.

Delphine Gigoux-Martin est représentée par la galerie Metropolis, Paris.

  Sources :

 L’été photographique de Lectoure 2017. Cette réalité qu’ils ont pourchassée. Livret. Egalement communiqué de presse en ligne.

 SUPRA RÉEL. Explorer l’illusion, communiqué de presse.

 «  Lorsque l’été lorsque la nuit », exposition de Delphine Gigoux-Martin au CAIRN Centre d’art, Digne-les-Bains, 2014. Communiqué. Texte de Bertrand Riou.

 «  Lorsque l’été lorsque la nuit », livre d’artiste, © Delphine Gigoux-Martin et le CAIRN Centre d’art, 2014.

 Delphine Gigoux-Martin, Association Trames, Clermont-Communauté, 2004. Texte de Sophie Biass-Fabiani.

 « Mémoires minuscules ». Delphine Gigoux-Martin, LienArt, 2011. Ouvrage publié à l’occasion des expositions de Delphine Gigoux-Martin au centre d’art contemporain de la Chapelle Saint-Jacques, Saint Gaudens ; au Centre d’art Les Brasseurs, Liège ; au musée de l’Abbaye de Sainte-Croix, Les Sables d’Olonne. Entretien avec Frédéric Bouglé. Textes de Claude d’Anthenaise, Sophie Biass-Fabiani, Gaëlle Rageot-Deshayes, Valérie Mazouin, Emmanuel Latreille, Pascal Pique.

 http://delphinegigouxmartin.fr

http://dda-ra.org/GIGOUX-MARTIN      Documents d’artistes, Rhône-Alpes. Document très complet. On y trouvera reproduites la plupart des oeuvres évoquées et non reproduites dans cet article.

 http://artshebdomedias.com    Samantha Deman, « D’une étoile l’autre par Delphine Gigoux-Martin », 2016.

Images : photographies de l’auteur, à l’exception de celle de l’installation au CAIRN, prise sur le Web.